Ils ont dit oui. Pétillon, Nono, Goutal, Schvartz.
Une manière aussi de dire non. Non au drame qui s’est déroulé en ce début 2015, au massacre de Charlie Hebdo. Ils ont dit, nous allons continuer. “Parce que je ne sais faire que cela”, a souri Loïc Schvartz. Ils se sont levés et sont allés à leur table à dessin. Chacun a besoin d’une catharsis en ces moments de profonde tragédie pour se libérer, revenir au réel, à la vie et au rire. Nous leur avons posé cette simple question : “Être dessinateur de presse aujourd’hui en Bretagne, qu’est-ce que cela signifie pour vous ?” Ils ont répondu par la parole et par le crayon, par le génie de la synthèse graphique.

À ArMen, nous avions envie de faire parler et de faire dessiner “nos” caricaturistes, de faire entendre ceux qui ont choisi de “dessiner au pays”, en Bretagne, comme l’affirme Nono, l’habitué des colonnes du Télégramme et du Peuple breton, ceux qui régulièrement prennent notre région pour cible de leurs traits tendres et caustiques. Goutal, l’engagé, l’homme de terrain, co-créateur de Quai des Bulles, le Festival de la bande dessinée et de l’image projetée à Saint-Malo. Schvartz, c’est sur les plateaux de France 3 Bretagne qu’il intervient : soirées électorales, les Bonnets rouges, ces personnalités qui font la Bretagne… Rien n’échappe à sa verve directe et en couleurs. Schvartz dessine aussi régulièrement pour Charlie Hebdo. Ils ont l’art de la satire, de la concision et de la précision. Ils amusent la galerie et ont pour point commun de ne pas se prendre au sérieux. Alors tout à coup, comme l’estime Schvartz, c’est un peu étrange, voire bouleversant de se retrouver au coeur des préoccupations, de se retrouver symbolisant la liberté d’expression. D’être soudainement extraordinairement pris au sérieux. “C’est une situation inédite et un peu dérangeante, murmure-t-il. Nous sommes d’abord des amuseurs, nous n’y arrivons pas toujours, mais nous essayons.” Le dessin − le plus vieux mode d’expression − faisait partie des murs de notre culture et soudain nous avons ressenti une extraordinaire fragilité que nous n’avions pas forcément perçue. Et c’est pour cette raison qu’ArMen a choisi ces invités exceptionnels dans ce premier numéro qui paraît après la journée du 7 janvier dernier.

Que celui qui n’a jamais découpé de dessins dans le journal pour les conserver se lève. Pierre Péron fut l’un de leurs prédécesseurs. Pierre Péron fournit des caricatures de 1925 à 1988 à La Dépêche de Brest puis au Télégramme. Comme eux tous, il va droit au but. On regarde, on a compris. Dans chaque numéro d’ArMen, Nono croque la rubrique économique en breton de Malo Bouëssel du Bourg. Alain Goutal a illustré il y a un an l’article de Jean Guiffan “À la conquête des mairies bretonnes”. Jean Guiffan, l’un des auteurs de ce numéro avec son autre spécialité qui est l’Irlande. La culture de l’image est intrinsèque à la Bretagne.

Enfin, comment ne pas clore sur cette ironie du sort. Alors que nous présentons dans ces pages un dossier sur le beurre en Bretagne, il est amusant de se souvenir du titre de la revue emblématique de la presse satirique française, cet hebdomadaire anarchisant, anticlérical, anticolonialiste et anti-impérialiste, qui paraîtra de 1901 à 1912 et qui s’appelait L’Assiette au beurre. L’humour, la définition de l’être humain. “C’est aussi ce qui permet de relativiser, de décrypter, d’éclairer. Si tu veux enrégimenter des cerveaux, tu les empêches de rigoler, de transgresser les dogmes. Je crois que l’humour est la première des transgressions et c’est pourquoi elle est essentielle”, conclut avec force Alain Goutal.

Chloé Batissou

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