Manifestation à Morlaix contre la crise du logement en Bretagne, le 26 octobre 2022.

8 % des voix, c’est, quand ils partent seuls, le meilleur score auquel peuvent prétendre les régionalistes. Comment se fait-il que l’identité forte de la Bretagne se traduise par des résultats décevants dans les urnes, alors que les indépendantistes et autres autonomistes détiennent l’essentiel des mandats en Corse ? Serait-ce une spécificité bretonne ?

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orlaix. Le 26 octobre 2022. Une pluie trop chaude arrose la manifestation contre la crise du logement en Bretagne – la troisième du genre – après Vannes et Lannion. L’assemblée clairsemée est représentative des différentes sensibilités de la sphère régionaliste : l’udb est présente ainsi que plusieurs groupuscules franchement indépendantistes. Tout cela forme un assemblage des plus baroques au-dessus duquel flottent les drapeaux de la cgt, de la cnt et d’eelv largement représentés. L’ancienne garde des sceaux socialiste, Marylise Le Branchu, redevenue simple militante, manifeste aux côtés de Gaël Roblin, dernier activiste breton embastillé. “La Morlaisienne était à l’époque à la Justice”, précise ce dernier avec un sourire sardonique.

Le régionalisme et l’autonomisme, désavoués dans les urnes, reviendraient-il par la fenêtre à la faveur de la crise du logement en Bretagne ? Les effets de cette crise sont au cœur des préoccupations des politiques régionaux : “Nous n’avons pas les capacités politiques de gérer cela. Ainsi, par exemple, nous ne sommes pas en mesure de taxer les résidences secondaires”, affirme Paul Molac, député du Morbihan.

Pour Gaël Roblin, qui évolue dans des formations politiques indépendantistes d’extrême gauche depuis près de trente ans, cette crise du logement est l’occasion de trouver un terrain d’entente entre toutes les sensibilités de gauche : “À l’échelle régionale, nous n’avons pas trouvé d’outil permettant de répondre aux inégalités criantes qui divisent les territoires.”

À l’évocation des partis régionalistes, le conseiller municipal de Guingamp souligne que “les programmes de ces diverses formations sont exhaustifs quand il s’agit d’évoquer l’identité bretonne, le gallo, la Bretagne à cinq départements… Mais ils restent trop maigres quant aux réponses à apporter aux problèmes de la vie quotidienne.”  Les élus et militants de l’udb veulent s’emparer des problèmes du quotidien, comme le logement, les transports et le tourisme. Les élus régionaux du groupe Breizh a-gleiz(2) , majoritairement udb, revendiquent “une politisation des thèmes du quotidien”. Aziliz Gouez, nouvelle venue dans le cénacle politique régional, connue pour avoir été la plume du président de la République d’Irlande, Michael d. Higgins, réclame “des réponses aux urgences sociales de la Bretagne contemporaine”.

“Un renouvellement des leaders régionalistes” 

En 2021, à l’occasion des dernières élections régionales, l’udb, formation la plus emblématique du courant autonomiste, a fait son grand retour dans l’hémicycle régional. “Cette élection marque un renouvellement des leaders régionalistes qui sont en rupture avec la génération précédente”, observe Romain Pasquier, chercheur affilié au cnrs et spécialiste de la question. Mais au-delà des six élus du groupe Breizh a-gleiz, “si on regarde tous les groupes politiques, il faut compter presque une quinzaine de conseilleurs régionaux de diverses sensibilités”, précise Christian Troadec, maire de Carhaix et vice-président en charge des langues de Bretagne. Un chiffre qui n’est pas négligeable sur un total de 83 conseillers régionaux.

Aux yeux de Christian Troadec, comme pour nombre d’acteurs politiques locaux, l’autonomie a le vent en poupe et bénéficie d’un consensus des formations politiques de l’arc républicain (le rn s’excluant de son propre chef).

Le 8 avril 2022, l’udb est parvenu à matérialiser ce consensus. Elle fait voter un vœu réclamant à l’État plus d’autonomie pour la Bretagne. “Nous étions loin de penser que ce vœu porté en séance plénière par notre groupe, Breizh a-gleiz recueillerait l’approbation de l’immense majorité des conseillers”, souligne Nil Caouissin qui tient le stand de l’udb au salon du livre de Carhaix en novembre dernier. Pour Aziliz Gouez, l’autonomie transcende les appartenances partisanes : “L’autonomie n’est pas la substance du projet mais un cadre.” La Bretagne doit “être pensée comme un objet politique”.

Au sein du cénacle politique régional, l’idée d’autonomie fait son chemin. A-t-elle gagné la métapolitique, la bataille culturelle chère au feu théoricien italien communiste Antonio Gramsci ? En 2014, dans le magazine Bretons, Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux de François Hollande, estime que son parti (alors hégémonique en Bretagne) a intégré les revendications régionalistes. “Ces alliances avec les partis de gauche nationaux ont permis à l’udb de garder une représentation sans écarter tout à fait le risque d’une certaine vampirisation”, analyse Romain Pasquier. Huit ans plus tard, dans un contexte bouleversé, tant sur le plan politique que socio-économique, la question de l’autonomisme comme élément structurant le champ politique régional est toujours difficile à trancher.

Mais concrètement, qu’inspire cette idée d’autonomie aux premiers intéressés ? (…)

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