Frédéric Jambon
Hors mode, loin des circuits institutionnels, l’artiste-peintre Éric Le Pape construit une œuvre puissante, profondément originale, où il décline sa vision très colorée d’une Bretagne maritime.

Plus de 5 000 toiles dans son sillage, réparties sur tous les continents : Éric Le Pape est un artiste-peintre fécond, mû par la passion et la persévérance. Alors qu’il vient tout juste de doubler le cap des soixante ans, l’éternel jeune homme, à l’énergie ardente, déborde de projets, tendant de plus en plus vers l’abstraction. Il n’en oublie pas pour autant les amoureux de ses “classiques”, tableaux figuratifs décalés de hameaux, imaginaires, du littoral breton. Composés de maisons biscornues, dominées par des arbres stylisés, ils surgissent d’une mer calme où dodelinent des prames, dans une fantasia de couleurs.
L’océan est une composante essentielle de la vie du natif de Landerneau. En tant qu’inspiration permanente d’émotions, mais aussi d’univers de travail, pendant ses vingt-sept années passées dans la Marine. Par hasard.
Les cours de Fañch Bernard
L’appel du large ne s’impose pas dès l’enfance chez le Finistérien. Très tôt, ce sont le dessin et la peinture qui le captivent. Il est encore à l’école maternelle lorsque son institutrice attire l’attention de sa mère. Hermétique aux chahuts de ses camarades, le petit Éric passe son temps à dessiner, affichant des dons évidents. Convaincue par l’enseignante que son garçon sort de l’ordinaire, la maman d’Éric l’aide à cultiver sa passion. Elle l’inscrit aux cours de trois professeurs privés successifs à Landerneau. Le dernier se nomme Fañch Bernard. Un artiste complet, aussi à l’aise un archet qu’un pinceau à la main. Celui qui fut pendant dix ans le contrebassiste du chanteur Glenmor a grandi dans l’atelier de peintre de son père. Il y a engrangé un immense savoir, dont il dispense les bases à ses élèves.
“J’ai suivi ses cours de mes 12 à mes 17 ans, indique Éric Le Pape. Les années les plus importantes pour moi. Ce n’était pas simplement un peintre, mais aussi un musicien, un clown, un véritable personnage qui passionnait son groupe d’élèves. Il prenait le crayon pour nous montrer, n’hésitait pas à nous houspiller : tu n’as rien compris, c’est nul ! Il nous emmenait en voiture peindre dans la nature, nous faisait dessiner la Vénus de Milo dont il avait une copie dans son atelier, suscitait une saine émulation. À chaque cours, je savais que j’allais apprendre quelque chose de nouveau, et qu’en plus, on allait rigoler ! J’ai adoré.”
Naturellement, l’ado rêve d’intégrer une école d’arts plastiques après le lycée. Malheureusement, son père souhaite l’orienter vers un avenir plus sûr. “Je ne lui en ai jamais voulu, confie Éric Le Pape. Avec le recul, je sais que je n’étais pas encore prêt.”

Marin sur porte-avions
Un jour d’étude entre deux cours au lycée, son voisin remplit un dossier pour la Marine. Il en avait deux ; le second échoit à Éric Le Pape, qui le complète pour s’amuser. Son père signe, heureux ! L’été s’écoule, il oublie. Puis tombe la lettre : “Vous intégrez l’École des Mousses le 2 septembre, à Brest.”
“Et c’est comme ça que je suis devenu marin, explique l’homme qui restera sous l’uniforme de 1982 à 2009. Renoncer aux Beaux-Arts ne m’a laissé aucune amertume. Je poursuivais d’autres rêves, tout aussi essentiels : naviguer, voyager, rencontrer des destins humains.”
Il opte pour l’aéronavale et se spécialise comme technicien moteurs d’avions de chasse, de l’Étendard au Rafale. Ce qui l’amènera à parcourir le monde à bord des porte-avions Foch, Clemenceau et Charles de Gaulle.

Pendant près d’une décennie, Éric Le Pape oublie complètement la peinture. Jusqu’au jour où un défi imprévu change la donne. À Landerneau, entraîné par un ami, le marin critique trop fort une exposition. L’organisateur l’entend et le provoque : “Facile de juger, montrez-moi mieux !” Piqué au vif, il reprend ses crayons. Ses traits séduisent tant qu’on lui commande vingt toiles pour l’événement suivant.
L’expo est un succès. La machine est lancée, elle ne s’arrêtera plus. Reprenant goût à ses premières amours, Éric Le Pape renoue par le dessin, mais a vite le sentiment de tourner en rond. Place à la couleur – “l’univers absolu !”, s’enthousiasme-t-il – et à ses sujets de prédilection, paysages et littoral bretons. Il présente des tableaux figuratifs aux salons de peinture de sa région et y rafle les premiers prix, devançant souvent des professionnels. “En mer, je crayonnais constamment pendant mes pauses, en m’amusant à faire les portraits de tous”, se souvient-il.
La suite est à lire dans ArMen n°269 de novembre-décembre 2025.


