Yann Le Meur

Georges Meur & Loeis Ropars, 1960, Coll° Le Meur
En partenariat avec ArMen et l’association Dañs Tro, le 28 novembre, Poullaouen accueillera une conférence sur le renouveau du fest-noz en Bretagne. Yann Le Meur, sonneur à l’initiative de cette rencontre, s’en explique.
Les pratiques actuelles des arts traditionnels bretons doivent amplement leur bien-fondé à l’action des refondateurs du fest-noz qui s’appliquèrent, dans l’après-guerre, à empêcher que ne soit rompu le chaînage de la transmission orale. Ces pionniers se sont illustrés par leur ancrage social au sein d’une population rurale. S’y trouvaient, à la campagne ou dans les bourgs ruraux, moult personnes imprégnées d’une culture populaire qu’elles avaient dans leur jeunesse intensément vécue, familialement, socialement.
À l’origine du renouveau du fest-noz, nous trouvons un concours de chant et de monologue organisé en 1954, à Poullaouen, par Loeiz Ropars. Cet éclaireur de génie cherche avant tout à mettre en valeur la richesse d’un breton parlé, et chanté, d’une ruralité qu’il veut passionnément défendre et valoriser. Son père, Georges Le Meur, adhère pleinement à cette vision émancipatrice. Il s’efforcera de fournir aux joutes poullaouenaises de kan ha diskan une cohorte de chanteurs châteauneuviens qu’il a convaincus non sans mal de reprendre du service.

Combat idéaliste
Loeiz et celui qu’il appelait “Komper Jorj” pratiquent alors aussi bien la bombarde que le chant à danser. À ce titre, ils s’intéressent aux airs et aux styles des chanteurs traditionnels. Mais le kan ha diskan va aussi trouver sa place dans leur combat idéaliste en faveur des libertés bretonnes et de la sauvegarde des marqueurs d’une civilisation paysanne.
Cette pensée fondatrice les incline à prôner la transmission du breton encore largement employé dans les campagnes dans ces années 1950, où les parents commencent néanmoins à s’empêcher de parler en breton aux enfants. Le kan ha diskan, aux yeux de ses défenseurs, fournit parmi ses utilités un vecteur ludique et entraînant de transmission d’une langue familière porteuse de musicalité. Sans compter que le chant constitue une interface utile entre le parler et l’écrit, sous une forme transfrontalière plus ou moins standardisée.
Au fond, le spectacle de 1954, consacré au chant et au monologue en breton, ne constituait pas vraiment les prémices réfléchies devant servir de tremplin à l’organisation de fêtes réunissant des centaines de gens pour les faire danser. Cela ne s’imaginait, à l’époque, qu’au travers de représentations folkloriques auxquelles assistaient, passifs, maints détenteurs d’une tradition qui leur échappait (qui en quelque sorte leur était confisquée au profit d’un objet étranger à sa fonction sociale).

Redanser la gavotte sans états d’âme
L’idée d’organiser, en 1955, ce type de soirée a découlé du constat que tous ces gens, qui assistaient en 1954 au concours de chant, brûlaient du désir si longuement refoulé de redanser, sans état d’âme et sans façon, la gavotte. Quand, la journée finie et les bancs poussés, l’incroyable Katrin Gwern redonna de sa robuste voix pour qu’on se mette enfin à danser la gavotte, alors les paysans, n’en pouvant plus, s’élancèrent avec fougue dans une danse sauvage, ponctuée de cris de joie stridents appelés youc’hadennou.
Dans les premiers festoù-noz des années 1950, il n’y a pas que la danse. Certes elle conquiert la primauté, s’exprimant parfois sous la forme de danse-jeu comme cette “dañs an etourdi” chantée en 1958 par Loeiz Ropars au fest-noz de la ferme châteauneuvienne de Kermoal quand il fit obéir à ses ordres improvisés un pauvre danseur esseulé mis au milieu de l’aire à danser.
Mais au fest-noz, on raconte aussi des histoires savoureuses. On donne leur place aux amuseurs de salle inspirés, comme le talentueux Yann Moulin qui, lors du premier fest-noz châteauneuvien de 1957, tient son public en haleine et le fait rire à gorge déployée. Et la gwerz y est appréciée, comme en 1959 quand, à Châteauneuf, les filles Goadec, à cinq, chantent à l’unisson “Gousperoù ar raned” (les vêpres des grenouilles). Cette chanson fabuleuse exige une mémoire et une diction de haut vol, niveau où se situaient Louise Bournot de Kerriou en Châteauneuf, et ses quatre sœurs Goadec treffrinoises
“Toutes les noblesses du monde”
En ces temps, les militants de l’expression culturelle s’intéressent aux pratiques culturelles authentiques, car vécues et non abstraites. Avec Pierre-Jakez Hélias, ces précurseurs appellent la civilisation rurale à se découvrir et ils valorisent avec entrain les signes distinctifs que cachaient les campagnards comme autant de marques symbolisant censément leur arriération et l’infériorité de leur condition. Plus tard, dédicaçant Le Cheval d’orgueil à Georges Le Meur, Hélias écrit que c’est “le livre en l’honneur des pauvres gens qui surent créer, au cours des générations, un savoir-faire quotidien plus valable que toutes les noblesses du monde”.
En 1949, alors que Loeiz Ropars créait le cercle de Poullaouen, Albert Camus procédait à la publication post mortem d’un ouvrage inachevé, écrit à Londres en 1943 par la philosophe Simone Weil. Cette œuvre est appelée L’Enracinement ; elle se présente comme un “prélude à une déclaration des devoirs envers l’être humain”.
On y lit un plaidoyer résistant incroyable pour l’époque : “Le mouvement qui s’est produit récemment dans les milieux cultivés vers le folklore devrait aider à restituer aux paysans le sentiment qu’ils sont chez eux dans la pensée humaine. Le système actuel consiste à leur présenter tout ce qui a rapport à la pensée comme une propriété exclusive des villes.”
À partir de 1955, le fest-noz et la cuture campagnarde qui s’y réveillait invitèrent les ruraux, en cette période de folle modernité, à éprouver considération pour ce qu’ils sont, pour leur façon d’être, pour leur culture, leur langue, leur accent, pour leur civilisation. Le travail mené par les pionniers du fest-noz a été exemplaire par le fait qu’ils ont redonné, à leur niveau, dignité ainsi qu’estime de soi à un peuple qui s’autodénigrait. Ils ont alors fourni, sur le fondement d’une authenticité créatrice, les bases solides d’une spectaculaire évolution culturelle bretonne des années qui ont suivi.
Le programme du 28 novembre :
Vendredi 28 novembre 2025, 18 h à 20 h. Entrée libre, salle Amzer zo, Poullaouen.
Spectacle. 18 h 10-18 h 20. “Dañs tro Poher”, war ‘l leur-zi : cercle Brug ar Menez de Spézet
Projection (extraits) I : vidéo sur Loeiz Ropars de Christophe Le Menn. II : Épisode 2 du film “Kalon Dardoup” (Goulc’hen Le Meur) retraçant l’histoire du premier fest-noz châteauneuvien, 18 h 20-18 h 40.
Conférence-débat dispensée par Yann Le Meur, autour du renvouveau du fest-noz, suivi d’un dialogue avec le chanteur Krismen. Il s’en suivra une séquence participative du public.


