L’histoire du parfum est souvent associée au nom de Grasse, rarement à celui de la Bretagne. Le nom d’Yvon Mouchel, dont la famille est enracinée sur une frange de notre bord de mer, nous propose une autre interprétation de cette histoire. Et elle est exemplaire. À Dinard, son nom est synonyme de parfum depuis près de 40 ans, remarquable longévité pour cet homme discret, père de la marque Divine, assurément l’un des plus brillants ambassadeurs de la Bretagne.
Lorsque Yvon Mouchel raconte cette anecdote, il est plein de bienveillance envers cette femme qui franchit le seuil de sa parfumerie. Discrète, elle flâne et s’arrête devant le parfum Divine, première création d’Yvon Mouchel. Elle observe ces flacons de verre, éprise de leur géométrie sobre. La jeune vendeuse, chargée de l’accueillir, saisit délicatement sa main droite et brumise Divine au revers de son poignet. Du chypré s’éveille alors d’une note fruitée, se développe en une brassée de fleurs rondes, tendres, pour s’épanouir dans un accord chaud et sensuel de mousse de chêne. C’est parfait… ou presque : “C’est aujourd’hui mon anniversaire, explique-t-elle. Mon époux a choisi de m’offrir ce soir le restaurant. Il ne pourra pas acheter le parfum.” Elle repart donc, une trace de divine sur sa peau. À la tombée du jour, un peu avant la fermeture, la dame est de retour. D’un joli sourire, elle annonce : “Divine sera mon cadeau ! Le restaurant… Ce sera pour une autre fois !”
Yvon Mouchel tire une grande fierté de cette histoire, en insistant sur ce constat : “Les hommes ont été un vecteur important de l’aventure. Ils ont offert le parfum.” Yvon Mouchel est breton. Ses origines sont inscrites dans la mémoire familiale en territoire costarmoricain. Yffiniac, Binic, Saint-Cast, des jeux d’enfants dans le moulin du grand-père minotier… Alors que son avenir était confortablement tracé dans les couloirs du groupe l’Oréal, il décroche un jour son téléphone. Au bout du fil, son agent immobilier lui annonce qu’une parfumerie est à vendre à Dinard. “C’était un dimanche matin. Un dimanche de printemps. Il faisait beau. La mer était bleue, calme, belle. La parfumerie était là, au pied du casino. Je me suis dit : pour débuter l’aventure Divine… C’est parfait !” Le retour en Bretagne est donc programmé. Les critiques et la peur des lendemains n’auront pas d’effet sur cet homme qui ne se fabrique pas d’histoires : il tient son rêve dans le creux de sa main, il ne le lâchera plus ! Et pourtant, il y a 40 ans : “La Bretagne, c’était tout sauf les multinationales. Et, en fait, tout m’y a ramené. J’y ai vécu ma vie !” Une vie en phase avec la ville de Dinard. “Dinard, c’est l’élégance… Ce côté anglais, loin du tapage. En quelque sorte ma vision des parfums.” Mais il sait qu’il va devoir relever bien des défis dans son bureau du 32 rue de la Paix, là où se trouve la boutique historique : “On peut tout entreprendre… Mais mon inquiétude reste épidermique.” Cet épiderme sur lequel, dès l’enfance, se sont posées des odeurs de bord de mer : “L’odeur de la Bretagne ? C’est la remontée de la plage de Binic. Le sel, le sable, sur nos peaux d’enfants. Un gâteau sucré saisi à pleines dents après les bains de mer !” Pour autant, Yvon Mouchel ne crée pas de parfums basés sur des odeurs marines, faites de notes d’algues, mélange de brise océanique, d’air iodé et de sel marin. Il ne les aime pas sur la peau. Non ! Sa préférence va aux notes épicées. Quant à sa première fragrance Divine ? “Mon intuition était la bonne. Les parfums de l’époque lassaient les aficionados. Ils devenaient distants avec les gammes commercialisées à grand renfort de marketing.” Ces parfums banalisés dans la rue, les soirées, les dîners, certaines femmes n’en voulaient plus, “au point qu’elles les mélangeaient, élaboraient leurs propres combinaisons. Les plus fortunées n’hésitaient pas à se rendre à Londres. La capitale londonienne était le fief des parfums de niche. Elles trouvaient là-bas une réelle satisfaction, des comportements déviants. Mais les clichés ont la vie dure. On me disait ’Vous n’êtes tout de même pas Guerlain, ni Chanel, ni Dior’…”
Et pourtant, il avait vu juste ! Aujourd’hui encore le parfum de niche est une tendance évidente, qui s’est considérablement développée avec Internet, les voyages et des courants de pensée, loin de ceux des années 1970, 1980… “Les gens ont des besoins alternatifs. Et cela fait près de 40 ans que nous répondons présents à ce besoin d’autre chose, d’autres horizons…” (…)