L’an dernier, la censure partielle par le Conseil constitutionnel de la loi Molac sur les langues régionales a suscité une vive émotion en Bretagne. Elle s’inscrit hélas dans une longue tradition de lutte des hautes juridictions nationales contre tout ce qui pourrait entamer le monopole absolu de la langue française. Une lutte implacable, où la force des préjugés l’emporte clairement sur le respect des principes juridiques…
C’est de manière fortuite, presque par effraction, que la langue française a fait son entrée dans la Constitution. Nous sommes au printemps 1992. L’urss vient d’imploser, l’Allemagne de se réunifier, et la Yougoslavie sombre dans la guerre civile. En France, le Président Mitterrand se débarrasse d’Édith Cresson pour confier les rênes du gouvernement au fidèle Pierre Bérégovoy, chargé, dans un contexte économique qui se dégrade, de redresser la barre à moins d’un an des futures élections législatives.
1992, c’est aussi Maastricht. Un traité qui, en instituant l’Union économique et monétaire, va poser les jalons de l’Europe que nous connaissons aujourd’hui. “Les douze” – le club est encore très fermé alors – le ratifient le 7 février. En France, le Conseil constitutionnel, saisi quant à sa teneur par le Président Mitterrand, estime qu’il contient plusieurs dispositions contraires à notre Loi fondamentale. Une révision institutionnelle s’impose donc. Elle sera examinée par le Parlement en mai-juin.
Une démarche symbolique
Le projet de loi constitutionnelle déposé par le gouvernement est un texte technique, dont la seule ambition est d’adapter la Constitution aux exigences induites par le traité de Maastricht. Nulle allusion en son sein à la langue française. Ce sont trois amendements identiques des groupes de droite et du centre à l’Assemblée nationale qui vont l’y introduire le 12 mai. Ils disposent que “le français est la langue de la République(1)”. L’exécutif et la majorité parlementaire sont perplexes. D’abord parce que le sujet du moment, c’est le traité de Maastricht, pas la place de la langue nationale dans notre système juridique. Ensuite parce que l’inscription de celle-ci dans le marbre constitutionnel paraît pour le moins superfétatoire. “Autant dire que la République est composée d’hommes et de femmes !”, raille un député socialiste.
Les promoteurs de la démarche ne se laissent pas désarçonner pour autant, soulignant sa portée hautement symbolique : quelle belle consécration ce serait pour la langue française de figurer à l’article 2 de la Constitution au côté de l’emblème tricolore, de l’hymne national et de la devise de la République ! Et puis, en réponse à l’hégémonie croissante de l’anglais et de la culture anglo-saxonne, nous aurions vraiment besoin de ce geste fort. Bref, faire du français la langue de la République serait en dernier ressort “une utile précision”.
L’argumentation ne soulève aucun enthousiasme, mais tout au plus une forme d’indifférence agacée. Pour autant, la majorité qualifiée des trois cinquièmes est requise pour faire aboutir une révision institutionnelle, et il faut bien donner des gages à l’opposition si l’on veut que la procédure soit conduite à son terme. Alors, après tout, si le prix du ralliement de la droite et du centre au traité de Maastricht est l’inoffensive insertion de la langue française dans la Constitution, on aurait tort de ne pas leur donner satisfaction ! De fait, le ministre des Affaires étrangères, Roland Dumas, veut bien y consentir, du bout des lèvres : “Cela ne faisait pas de doute. Cela allait sans dire. Alors pourquoi ne pas le dire ?” (…)