L’historien Jacques Rougerie disait de la Commune, dont on a célèbré en 2021 le 150e anniversaire, qu’elle fut la “plus parisienne des révolutions”. Pourtant, après l’écrasement du soulèvement parisien, c’est en Bretagne que l’histoire s’achève pour de nombreux communards. Alors que Louise Michel et tant d’autres sont déportés vers la Nouvelle-Calédonie, près de 3 000 insurgés sont envoyés, entre 1871 et 1880, au “bagne” de Belle-Île-en-Mer. Dès les premiers combats entre Versaillais et Gardes nationaux parisiens en avril 1871, la prison insulaire enferme des centaines d’ouvriers pris les armes à la main. Après eux, la prison de Palais voit passer, jusqu’en 1880, 2 000 détenus condamnés par les tribunaux militaires pour avoir participé à l’insurrection parisienne. Les archives de l’administration pénitentiaire permettent de se faire une image précise de ces hommes et de leur vie en détention, entre privations et bains de mer, révoltes et demandes de grâce. Absente des dépliants touristiques comme du musée de la citadelle de Palais, l’histoire méconnue de cette prison politique semble avoir disparu de la mémoire belliloise.
Il est six heures du soir, le 7 avril 1871, lorsqu’un long train comptant trente wagons de marchandises s’arrête à Lorient dans un halo de vapeur. Le convoi est aussitôt séparé en deux : un premier train repart immédiatement en direction de Brest, l’autre étant dirigé vers le port militaire lorientais. Une foule importante, massée en silence autour de la gare, assiste aux opérations encadrées par la troupe. Cours de Chazelles, quelques jeunes gens bravaches crient : “Vive les Parisiens ! À bas la rousse(1) !” Près de l’entrée du port, deux individus se découvrent au passage des wagons “en agitant leur chapeau”, remarque l’œil aguerri du commandant de gendarmerie, qui consignera les faits le lendemain dans son rapport.
Derrière les cloisons aveugles, des hommes sont “voiturés pêle-mêle, courbés ou assis ça et là, les uns sur les autres”, dans des wagons “ne recevant d’air que par de rares orifices de la largeur d’un sou”, raconte l’un d’eux(2). Au total, ce jour-là, 1 600 insurgés de la Commune, capturés par l’armée dans les faubourgs de Paris, sont transférés de Versailles vers différents lieux de détention sur les côtes bretonnes. Parmi les prisonniers qui sortent hagards de leur wagon à Lorient, 612 sont embarqués aussitôt à bord d’un aviso, un navire à vapeur de la Marine, qui les emmène vers leur destination finale : la prison de Belle-Île-en-Mer, sur les hauteurs de la citadelle de Palais.
(1) La police (argot)
(2)Neuf mois de ponton (1873) Témoignage d’Arthur Monnanteuil, prisonnier envoyé à Brest par le même chemin après l’écrasement final de la Commune à la fin du mois de mai 1871.
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