Couverture du livre Lignes de vie

A l’occasion de l’édition bilingue de l’ouvrage Lignes de Vie – Linennoù buhez, nous avons interviewé son auteur Malo Bouëssel du Bourg. Ce livre polyphonique, élaboré conjointement avec l’artiste Daniela Jordanova et la maquettiste Maeva Guyon, explore les liens entre les arbres et les hommes.

ArMen : Lignes de vie est le fruit d’une collaboration avec Daniela Jordanova, lithographe d’origine bulgare, déjà éprouvée sur de précédents ouvrages. Quel chemin vous a rapprochés et amenés à travailler sur ce projet ambitieux ?

J’ai déjà eu l’occasion de travailler avec Daniela sur deux ouvrages : Malnoë (mon premier recueil de poèmes, avec ses lithographies) et Feuillets d’Irlande – Echoes from Irleland (poèmes en prose, avec ses photographies). Pour Daniela, l’art est un laboratoire où se forge de nouvelles formes sociales. Ce qui explique son goût pour l’exploration des liens entre l’environnement, la science, le vivant et la société. Dans la mesure ou nous partagions le même amour pour les arbres, nous avons décidé d’élaborer un livre où se mêleraient l’art, la vulgarisation scientifique et la poésie. Un livre accessible a tous et de belle facture. J’avais fait connaissance avec Daniela quand j’habitais à Nantes, en 1995. Elle avait conçu les costumes des Joyeuses commères de Windsor et les décors du Baladin du monde occidental, deux pièces de théâtre mises en scène par ma femme avec le Théâtre de l’Avant-Première.

ArMen : La défense du breton fait partie de ton engagement quasi quotidien Malo. Mais à travers de ce livre, on sent la volonté d’étendre le sujet à l’ensemble des six mille langues parlées sur notre planète. A l’image des racines des arbres, vois-tu des collaborations, des échanges possibles, pour porter plus haut et plus fort ces arguments de diversité.

Le livre est bilingue français-breton.  Nous désirions qu’il soit quadrilingue, en ajoutant l’anglais et le bulgare. Mais cela aurait coûté trop cher. Le but est de mettre en vis-à-vis la symphonie de la biodiversité et la symphonie de la diversité culturelle. Car nous croyons que leur destinées sont étroitement liées. Quand on respecte la nature, on respecte la culture. Quand on cause un dommage à la nature, on fait du tort à l’homme. Les langues et la biodiversité disparaissent ensemble. Ceci a été mesuré par des chercheurs américains.  Nous voulons expliquer et rendre sensible l’unité et l’union du vivant. Nous montrons combien sont semblables, tout bien considéré, les modalités d’entraide, de défense, de communication, et jusqu’à la façon de prendre des décisions… Nous voulons croire que la  mise évidence de cette union profonde fait grandir le respect du vivant et de la diversité.

Les arbres aussi bien que les hommes manifestent deux règles universelles de la nature : la loi du plus fort et la loi de la solidarité. Quand on parle de Darwin, nous avons coutume de n’évoquer que la première en passant à côté de la loi de l’entraide. Cette dernière est pourtant encore plus puissante encore. Combien sont fascinantes les relations entre les racines , d’un arbre à l’autre, par l’intermédiaire des microrrhizes (champignons souterrains aux mycéliums longs et fins). Par leur coopération, la forêt devient un véritable réseau connecté, capable de véhiculer nourriture et informations.

Les arbres nous donnent des leçons de sagesse. Ils savent parfaitement se gouverner sans système nerveux centralisé. Ce sont de véritables anarchistes. Anarchistes et pacifistes, puisqu’ils se contentent d’eau et de lumière pour respirer et grandir. Ce sont des champions du slow life et du développement durable.

ArMen : A l’image de cette diversité, ce livre mélange sciences, poésie et arts visuels. Ces passerelles entre disciplines, ces croisements entre rationalité et imaginaire sont importants pour toi ?

Oui, très. C’est Dostoïevski, je crois qui a écrit « la beauté sauvera le monde ». Ce n’est pas toutefois vérité d’évangile, à mon avis. Roparz Hemon avait fait la même erreur. Il croyait, quand il était jeune, que la langue bretonne serait sauvée dès lors qu’une littérature digne de ce nom aurait été écrite dans notre langue. Mais cela ne permet de faire que la moitié du chemin. Il faut que s’alignent le cœur et l’intelligence, les idées et l’imagination, l’action et le rêve… C’est pourquoi nous essayons de faire entrer en résonnance science, poésie et arts plastiques.

ArMen : Lignes de vie trace donc un lien, une branche, entre diversité culturelle et biodiversité. Les deux sont aujourd’hui en danger, menacées par une uniformisation et des intérêts particuliers, souvent financiers. Mais la biodiversité ne se résumant pas aux arbres, à quand la suite ? Avec les oiseaux par exemple ?

Le plus grand danger est probablement la pensée unique. Le paradis prêt-à-porter de Netflix… Le totalitarisme marche dans les pas de la pensée unique… Une langue, une agriculture, une alimentation, une vérité, un pouvoir. L’unanimité est le critère de l’erreur et le terreau de la finance. Quand tout le monde pense la même chose, vous pouvez être sûr que tout le monde se trompe.

Il y a six mille langues sur terre. La moitié d’entre elles vont disparaître au cours du vingt-et-unième siècle. Chaque année sont déforestés treize millions d’hectares. On parle d’un effondrement du vivant. Le destin de l’homme et le destin de la biodiversité ne font qu’un. Il est donc grand temps de nous réapproprier notre langue et notre relation à la nature. S’agissant des oiseaux, 30% d’entre eux ont disparu en l’espace de trente ans. Je n’ai pas le projet d’écrire un livre à leur sujet, mais j’ai  envie d’apprendre à distinguer toutes les nuances de leurs chants quand je serai en retraite…


Lignes de Vie/Linennoù buhez, Skol Vreizh 2022, 102 pages, 25€

A lire également